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Et si nous parlions du chantier ?



    Il est évidemment terminé, très bien terminé. Pas
    un jour de retard. Bravo Maître d’œuvre ! La route
    est  définitivement  revêtue  et  tracée.  Les  derniers
    remparts de pavements sont posés sur les flancs de
    la  digue.  Vu  du  dessus,  c’est  comme  avant  sur  la
    route mais déjà très changé de part et d’autre, en
    aval comme en amont.
    Le Ster reprend ses droits après plus de 40 ans de
    somnolence  et  six  mois  de  travaux  encombrants,
    tantôt  cognants,  tantôt  vrombissants  et  toujours
    spectaculaires. La pelleteuse arrivée la première a
    entamé ses moulinets  de terre dès le premier jour.
    Les camions déblayaient.
    Une deuxième pelleteuse  est arrivée accompagnée
    de  son  invraisemblable  machine  à  enfoncer  les
    lourdes palplanches pour la construction des batar-
    deaux d’acier. C’est une sorte de dinosaure fait de
    grappes de tuyaux, de vielle peinture, de chenilles
    encrassées,  de  rouille  huileuse  et  de  ronflements
    enfumés  qui  s’est  mis  en  route.  Menée  de  mains
    expertes, la machine a fait son travail sans broncher
    avec  parfois,  en  guise  de  réprobation,  un  ahane-
    ment  rauque  et  grinçant  de  vapeurs  bleutées  ou
    noirâtres selon l’humeur ou la dureté du travail. On
    percevait  son  habitude  à  œuvrer  dans  ces  condi-
    tions  très  humides  de  gadoue  salée  et  de  crachin
    breton. Pensez, en vingt ou trente ans, la bête avait
    acquis le sens du travail bien fait.
    Puis la grande grue libellule s’est installée avec ses
    75 tonnes de lest de béton sur les pieds. Elle a dû se
    déplacer une fois vers l’est pour laisser le chantier
    reculer de  quelques  mètres quand  la  roche  solide
    manquait pour les fondations des ouvertures. Cent
    tonnes  d’acier  et  de  béton  sur  dix  mètres  en
    quelques heures, c’est rien avec ses ailes…
    Les  toupies  baroques  et  le  béton,  la  ferraille,  les
    poutres  d’acier,  les  coffrages,  le  sable  souillé,  les
    baraquements,  les  barrières  et  les  pancartes  des
    consignes  de  sécurité  de  Monsieur  le  Maire  sont
    venus  dans  un  ordre  bien  rangé  pour  finalement
    occuper tout l’espace. Il restait un passage pour les
    hommes  qui  conduisaient  toutes  ces  machines  et
    tous ces travaux, alors le chantier du dimanche de-
    venait promenade, pour voir, saluer les machines et
    sentir l’odeur du fioul. Mais chut ! Pas le droit de
    « pénétrer » … alors photos…
    Au bout du compte la mer s’est engouffrée, pres-
    sée.  Silence.  Bruissements  d’eau.  Magie  !  Applau-
    dissements.

    Philippe Lesieur
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